C'était il y a environ trois ans dans un modeste pays d'Afrique centrale. Le reportage était patronné par une organisation internationale, le thème en était les problèmes de développement et je faisais équipe avec un journaliste finlandais travaillant pour un grand quotidien d'Helsinki et qui s'était engagé à publier une série d'articles sur les *projets" que nous allions visiter.
Nous avons atterri un dimanche après-midi à l'aéroport de la capitale. Réception très cordiale par les représentants officiels, discours de bienvenue et mise en appétit immédiate : "Nous vous avons préparé un programme varié et copieux, vous n'aurez guère le temps de chômer."
Suivit une nuit de repos dans un hîotel situé au bord du fleuve, et le lendemain matin ce furent les indispensables visites protocolaires, A midi, retour à l'hôtel et repas léger dans la grande salle. Nous étions au café lorsque la radio annonça un communiqué : "Les deux journalistes européens arrivés la veille sont priés de ne pas sortir de leur hôtel, leur programme est annulé, ils recevront des instructions ultérieurement." Le journaliste finlandais, pas certain d'avoir bien compris, me regarda d'un air ahuri. Quant à moi, j'étais atterré. Certaines des personnes attablés dans la salle savaient que nous étions les deux Européens visés par le communiqué officiel, et à voir la façon dont ils nous dévisageaient, je compris que d'une minute à l'autre nous étions devenus des pestiférés.


En résidence surveillée
Nous étions pratiquement en résidence surveillée. Deux heures plus tard, l'homme qui nous avait accueillis la veille à l'aéroport vient nous rendre visite : dire qu'il était embarrassé paraitrait un joyeux euphémisme. Ses explications étaient confuses, mais pouvaient se résumer ainsi : le président de la République, de retour de voyage, avait trouvé dans la correspondance et les papiers à viser le programme de nos visites.
Or ce programme comportait, par erreur la visite d'une ferme modèle, à quelques kilomètres de la capitale - cette ferme, pour des raisons trop longues à expliquer ici, n'était plus du tout modèle et plutôt à l'abandon. Autrement dit, parfaitement impropre à donner une image flatteuse du pays à des étrangers de passage. D'où la réaction brutale du président, tout était annulé, pas de détails ! Et personne dans l'entourage immédiat du président n'osa suggérer une sanction plus légère, une décision plus nuancée.
Si personne, parmi les officiels, ne s'insurgea, il se trouva en revanche un expert international (un ingénieur genevois qui, depuis lors est revenu au pays) pour ne pas accepter sans autre une situation aussi absurde. Il proposa de venir nous chercher en voiture (à ses risques et périls), de nous faire visiter ses chantiers et les environs immédiats de la capitale. Inutile de dire que cette offre fut acceptée avec enthousiasme - il n'y eut pas d'incidents. Notre situation fut clarifiée une demi-journée avant notre départ, le malentendu dissipé et des excuses présentées.
L'image montre l'un des ouvriers du chantier écoutant le discours d'un contremaître.

Texte paru le 15 avril 1974 dans la Tribune de Genève.